ARGUMENTAIRE

Nos manières d’enseigner et d’apprendre évoluent au fil du temps, des histoires, des politiques, des territoires, des discours, etc. Les disciplines renouvellent ainsi leurs places et leurs domaines d’expertise. Les sciences du langage et la littérature ne sont pas en reste dans ce questionnement perpétuel. De nouveaux paradigmes didactiques et pédagogiques se posent. Quelles offres de formation pour quelles demandes ? Quels apprenants ? Pour quelles raisons ? Plusieurs axes pourront faire l’objet d’une réflexion.   

Axe 1 : Production terminologiques, cultures, sciences et techniques 

La terminologie est un ensemble de termes spécialisés relevant d’un même domaine d’activité qui a son vocabulaire propre. L’acte terminologique est social dans la mesure où il intervient en réponse à un besoin exprimé par un usager aux prises avec un problème de mot qu’il s’agisse de la clarification de son sens, de la recherche de son équivalent dans une autre langue, la terminologie fait partie d’un système d’expression constitué par une première “ couche ”, la langue naturelle, sur laquelle vient s’appuyer le langage spécialisé qu’on appelle aussi langue de spécialité.C’est pourquoi la terminologie a un lien étroit avec la linguistique ou, si on préfère adopter une perspective plus large, les sciences du langage. Il semble désormais évident que la théorie strictement monosémique et décontextualisée de la terminologie, telle que (Wüster,1974) l’avait imaginée, ne peut plus être considérée comme valable, mais qu’elle doit être revue et intégrée par les apports des nouvelles approches la socio-terminologie de (Gaudin, 2003) et la terminologie culturelle de (Diki-Kidiri, 2007). Dans ce contexte, la redécouverte de la dimension culturelle des études terminologiques permettra de prendre en considération les rapports entre les langues et les cultures.  En percevant la terminologie sous divers angles - besoin social, pratique, application ou ensemble de ressources, domaine du savoir de (Cabré, 1998), on se rend bien compte de son caractère indispensable et transversal parce que nécessaire dans toutes les disciplines et domaines d’activité. C’est une occasion pour répondre à des préoccupations urgentes, concrètes liées à la production et à l’utilisation des terminologies dans tous les domaines envisageables, non seulement en tenant compte des besoins présents, mais aussi et surtout en anticipant ceux du futur. 

 

Axe 2- Didactique et pédagogie des langues nationales   

    Chaque langue est une entité irréductible en soi avec sa complexité. La langue est un système, une catégorisation spécifique de la réalité.  L'importance de la langue première, dans l'acquisition d'une langue étrangère oppose l’école behavioriste et celle cognitiviste (BERTHOUD et PY1993). Tantôt vu comme un phénomène réducteur, le recours à la L1 entraîne des interférences et la production de “fautes”. Pour l’école behavioriste, une table rase s’impose et il conviendrait d'établir une cloison entre L1 (langue première) et L2 (langue seconde). L’altérité est alors négative sous cet angle. Au contraire, pour l’école cognitiviste, la langue première L1, est une richesse et joue un rôle essentiel dans l’apprentissage de la L2.  Ainsi, Le cerveau peut gérer et accepter l’altérité des systèmes. Les politiques éducatives africaines actuelles se positionnent dans cette tendance en encourageant l'apprentissage des langues maternelles, dites locales dès les premières années de l'enfant à l'école, (MAURER, 2013). 

     Il faudrait alors réfléchir sur les programmes et les pédagogies à adopter pour un enseignement de qualité des langues africaines.  Devons-nous seulement nous arrêter à l'alphabétisation ?  

Au-delà de la description linguistique, l'enseignement des langues africaines est-il envisagé sur l'axe des objectifs spécifiques ? Réfléchissons-nous sur la terminologie dans certains domaines comme la diplomatie, la médecine, les affaires, le journalisme ? Quelle pédagogie et quel programme pour chaque domaine ?  Sur quoi reposent le programme de la didactique des langues africaines ? Est-il adapté au public ou faut-il penser à des révisions pour susciter l’intérêt des apprenants ?  Plus qu’une analyse des contacts de langues (étrangères vs locales), quelle est l'utilité de la littérature et de l’enseignement du plurilinguisme.  

 B- Le multilinguisme : contacts/conflits de langues ?  

L’Afrique offre un paysage multilingue où chaque langue a une fonction définie soit de jure, soit de facto. Nous avons d’une part, les langues étrangères, héritage colonial (français, anglais, portugais…) érigées en langue véhiculaire (CALVET, 2010). Celles-ci sont pour les communications officielles et internationales mais aussi la scolarisation, l’administration et le travail (secteur formel). D’autre part, nous avons des langues locales vernaculaires, (CHAUDENSON,1981) souvent dites nationales qui occupent le terrain des échanges intracommunautaires, intercommunautaires et de l’alphabétisation fonctionnelle, (MAGASSY, 2017).  Pourtant, cette stratification est loin d’être effective. Les dynamiques sociales, la scolarisation universelle, l’urbanisation galopante souvent incontrôlée, ont fini d’éclater les cloisons entre les communautés linguistiques. Nous assistons à l’hégémonie de certaines langues locales qui transgressent les espaces réservés aux autres langues vernaculaires et au français.  L’émergence de nouvelles pratiques linguistiques : codes mixtes se développent et se généralisent (THIAM, 1994 ; NDAO,1990 ; JUILLARD, 2005 ; THIAM, 2016 ; SOW ,2016), comme un langage des jeunes, un langage urbain. Autrement dit, dans ces élaborations, le code mixte est plus considéré comme une variante jeune et urbaine d’où le concept de langue urbaine.   

C- Nationalisme, construction identitaire et analyse du discours  

Autour de quelles langues se construit l’identité nationale ? Sur la base d'une certaine histoire, de discours politiques et d'un certain vécu communautaire, des représentations identitaires peuvent être produites et diffusées au travers de discours performatifs par des individus et/ou des groupes, (JUTEAU,1999 ; HELLER et LABRIE, 2003 ; GARABATO, 2005 ; PILOTE, 2007 ; BOYER, 2008). Ces représentations influencées par certaines circonstances (expansion économique, démographique de la communauté concernée, discrédit du centre, conflit intercommunautaire ouvert), peuvent parvenir à constituer un ensemble idéologique dont l'objectif est alors d'établir et de revendiquer la nature nationale de la communauté et par la même occasion un pouvoir politique national, pas forcément indépendant mais à tout le moins bénéficiant d'une plus ou moins large autonomie politique. Cette nouvelle tendance est un défi qui montre la façon dont l'histoire, la politique, la littérature influence l'opinion que nous avons des langues prescrites ou proscrites. Mais bien plus encore, elle montre que les représentations ne sont pas stables mais dynamiques et participent à la construction nationale et identitaire ; construction que les pratiques discursives peuvent appuyer. Synonyme de phrase ou d’énoncé ou encore d’une période exprimant une pensée à peu près entière et complète en elle-même, quoique tenant peut-être à d’autres pensées qui précèdent ou quisuivent (FONTAINIER, 1977) mais aussi de toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur et chez le premier l’intention d’influencer l’autre en quelque manière, le discours peut participer à la construction d’identité, de stéréotypes. Cette textualité/discursivité ne pourrait être pensée qu’en corrélation avec le contexte de production ; contexte qui ne manque pas d’influer sur les contenus afin de faire sens (Sy,2008 ; Koffi, 2020). En tant qu’expression des motivations, des actions et des désirs des individus qui vivent dans une société, qu’il soit d’obédience philosophique (AUSTIN, SEARLE, GRICE,1979), littéraire (MAINGUENEAU, 2004), politique (CHARAUDEAU,2005 ; ADAM 1997), sociologique (HABERMAS, 2018 ; GOFFMAN, 1974), journalistique (CHARAUDEAU, 2005), etc., le discours reste l’expression des motivations, des actions et des désirs des individus qui vivent dans la société, car tout discours/texte dépend, à la fois, du genre et des contraintes de l’interaction socio- discursive (BRONCKART,1997). Voilà pourquoi il reste un medium incontournable pour des questions de nationalisme, de politique et d’identité.   

D- Aménagement territorial, politique et planification linguistique  

Intervenir sur la forme (orale et/ou écrite), ou encore sur le statut d'une langue, en la retirant ou en l'imposant dans l'usage quotidien, émane de deux principes : la politique et la planification linguistiques, (CALVET, 1996). La politique linguistique est la détermination de grands choix en matière de rapports entre les langues et les sociétés. Sa mise en pratique est appelée la planification linguistique selon (CALVET, 1996). La politique linguistique sera définie dans plusieurs écoles : américaine, espagnole, allemande, canadienne, etc., respectivement par (FISHMAN, 1970 ; NINYOLES, 1975 ; GLüCK,1981 ; Laporte,1994). Il ressort de toutes les approches posées par les auteurs, l'idée maîtresse d'un rapport d’interdépendance entre la politique et la planification linguistique. Que révèlent les politiques linguistiques et éducatives de la zone ouest africaine ? Les enseignes des boutiques, la toponymie des rues, les panneaux routiers, les affiches publicitaires, les émissions télévisées sont des lieux privilégiés d’intervention pour la promotion des langues, (MUSANJI, 2012 ; CHACHOU, 2016). Comment les Constitutions actuelles organisent l’usage des langues dans leur territoire ? Pour quelles fins et actions ? Nous remarquons que certains pays africains conservent les langues étrangères, là où d’autres pays (ex : BURKINA FASO, Mali) mènent une implication forte des langues locales dans la gestion étatique, (Diagne, 2017).   

 E- Représentations, stéréotypes et attitudes en langues et littérature  

Ce que les locuteurs disent, pensent, des langues qu’ils parlent et de celles que parlent les autres, (BOYER, 2009 ; CALVET, 1999) va être notre principale préoccupation dans cette section. Quelles sont les valeurs et attitudes accordées aux langues ?  Les locuteurs de la zone ouest africaine se sentent-ils en sécurité ou insécurité linguistique ? Par rapport à quelle langue ? Les locuteurs se réfèrent à quelles normes linguistiques en utilisant les langues en termes de normes endogènes ou exogènes ? Le centre ou la périphérie, (FRANCARD, 1993) ?  

 

 

 F- Langues, développement et intégration régionale  

Comment les langues posent-elles l’intégration régionale et le partenariat sud/sud (SANGARE,1998 ; MAZUNYA, 2011 ; NIKUZE, 2013) ? En effet, la langue transfrontalière peut jouer plusieurs rôles : refuge, cohésion, trafic, opposition.  Quelle(s) langue(s) justement revête(nt) cette posture ? Quelles sont leurs considérations dans le partenariat économique, (ACALAN, 2009) ?  

G- Apport de la sociolinguistique à la didactique du français langue étrangère   

Dans la langue, nous retrouvons la culture, d’où le terme de langues-cultures, (DAFF,2015 ; BOYER, 2001). Partant de ce postulat, tout locuteur évalue les langues avec lesquelles, il est en contact. Ce faisant, nous avons une perception des langues, quelle que soit la nature de l’acte posé : méliorative (reconnaissance, valorisation, prestige) ou péjorative (dépréciation, stigmatisation, boycott). Celui-ci, a une incidence sur le discours épilinguistique, (CANUT,1995). Désormais, ce que l’apprenant dit, pense et fait de la langue apprise est significatif pour le didacticien afin de saisir les motivations de l’apprentissage, les préférences linguistiques, les besoins subjectifs (attentes, souhaits, motivations des apprenants = tâche du sociolinguiste) vs les besoins objectifs (contenus enseignés, contexte de son utilisation dans la vie réelle, genre d’usage, descriptions adéquates de ses usages = tâches des linguistes), (OCKOVA, 2007 ; RICHTERICH, 1985). 

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